7 juillet
Gabi Hartmann
On pourra discuter à l’infini, mais on ne sait pas forcément très clairement où la voix de Gabi Hartmann nous transporte : un bar jazz en sous-sol, une plage tropicale au crépuscule, une terrasse dans une pente de Lisbonne, le fond d’une brasserie parisienne par une nuit d’hiver ? On ferme les yeux et passent, enlacées, l’ombre d’une légende du jazz, d’une diva de la bossa nova, d’une grande dame en noir de la chanson française ou portugaise, quelque part au carrefour du chic exquis et de la mélancolie vertigineuse, de la douceur consolante et du spleen partagé.
Quelques mois après un EP introductif, paraît enfin le premier album de Gabi Hartmann, produit avec Jesse Harris. Ils se rencontrent en 2018 à New York. Il apporte tout ce qui fait la gloire de ses collaborations avec Norah Jones, Madeleine Peyroux ou Melody Gardot.
Gabi Hartmann apporte aussi une histoire musicale personnelle en devenir, mais déjà touffue. Enfance et famille parisienne écoutant à la fois de la chanson, du rock et des musiques de partout. Piano classique jusqu’à quatorze ans, lorsqu’elle l’échange contre la guitare de son frère pour écrire des chansons. Le jazz surgit en rewind après sa découverte d’Amy Winehouse et de ses reprises d’Ella, Sinatra ou Nat King Cole. Cours de jazz à la Schola Cantorum puis au Conservatoire, détour par la musique brésilienne en vivant deux ans à Rio de Janeiro, une année d’ethnomusicologie à Londres, retour à Paris pour entrelacer des projets en dix genres et trois langues.
Quand Jesse Harris lui propose de produire son album, elle y voit une invitation à « rassembler tout ce que je suis », dit-elle – l’amour de Billie Holiday et de Lhasa de Sela, ses amitiés pour le flûtiste soudanais Ghandi Adam et pour le guitariste guinéen Abdoulaye Kouyaté, son admiration pour l’immense crooner Henri Salvador et ses souvenirs de voyage en Afrique, son matériel tout neuf et des splendeurs vénérables écrites avant la naissance de ses parents…
Dès leur rencontre, les deux musiciens écrivent et enregistrent entre New York et Paris. Peu à peu, émerge des chansons de Gabi la cohérence entre son amour des grands standards jazz et ses confessions de jeune Française de son siècle, entre sa fascination pour les musiques des Tropiques et son instinct poétique parisien…
Tout en préparant cet album, elle fait la première partie de Jamie Cullum ou Mélody Gardot, passe régulièrement au mythique club de jazz le Duc des Lombards, voit grandir la rumeur sur son nom…
À la rentrée 2021, les cinq titres de son EP annoncent une grande voix à la fois populaire et savante. Et voici que l’album confirme : timbre chaud et précis avec une once de désinvolture élégante, charme également funambule en français, en anglais et en portugais (et aussi pour quelques couplets en arabe), esthétique intemporelle et regard franc sur son époque (La Mer, titre tragique sur le sort des migrants en Méditerranée), phrasé d’idole du disque et classe des classiques de Cinecittá, auteure introspective et compositrice plurielle…
Voici ce que les Américains appellent chanteuse, et que l’on appelle lady en français, aussi douée pour se montrer telle qu’en elle-même que pour endosser les habits de la légende.